Ou serait-ce le contraire?
Ou bien alors, est-ce que l’un de ces mots a-t-il un sens sans le second?
Ou bien encore, est-ce que ces mots, égalité et liberté, ne sont-ils pas dénués de sens? Du moins dans l’absolu.
Serait-ce une hérésie que de dire que Egalité et Liberté sont en soi deux mots abstraits? Voyons.
La définition de l’égalité est relativement simple, c’est l’absence complète de distinction entre les hommes sous le rapport des droits: égalité civile, sociale, politique, ... Or nous savons que cet état d’égalité n’existe pas. Qu’elle soit naturelle, acceptée ou imposée, la différence entre les hommes a toujours existée.
La liberté, par définition, est l’absence de contrainte; mais il n’existe pas de liberté absolue. Que se soit la liberté de conscience, la liberté morale, la liberté du culte, la liberté de la presse, la liberté syndicale, ... elle sera toujours limitée, ou conditionnée, par des règles établies par la communauté à laquelle on appartient.
En définitive, la liberté, telle qu’on l’entend, est de pouvoir faire tout ce qui n’est pas interdit. Et si ce n’était pas le cas, ce serait l’anarchie, la démocratie directe, comme l’exposait Platon. Cette doctrine qui libère l’individu de toute forme de contrainte. Nous revenons à l’abstraction. Alors?
Alors remontons dans le temps, plus précisément les 20, 21, 23, 24 et 26 août 1789. Que se passa-t-il alors?
Les représentants du peuple Français, constitués en Assemblée Nationale, ont résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme.
Ce fut la “Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen” dont la première phrase de l’Article premier est:
Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits.
En théorie, cette simple phrase constituée de dix mots résolvait un problème aussi vieux que l’homme est homme. En réalité, et justement parce que l’homme est homme, il n’a pu réaliser les idéaux contenus dans cette phrase, tout au moins jusqu’en cette veille du XXIème siècle.
Et cela malgré cette autre grande affirmation que fut la “Déclaration universelle des droits de l’homme”, adoptée et proclamée le 10 décembre 1948 par l’Assemblée Générale des Nations Unies, et dont l’article premier est:
Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.
Remarquons au passage que, dans ce premier article, apparaît le mot “Fraternité” qui, lié à “Liberté” et “Egalité”, constitue non seulement la devise de la France mais aussi, depuis le milieu du dix-neuvième siècle, le ternaire sacré de la Maçonnerie.
Traditionnellement en France, on a toujours opposé la Liberté de 1789 et l’Egalité de 1793. L’égalité de droit a sans cesse progressé. Ce progrès continue, mais semble presque au bout, à son terme, en tout cas dans nombreux pays.
Dans le même temps où l’on est arrivé presque à la perfection de l’égalité de droit, on a vu s’aggraver les inégalités de fait.
Il y a d’abord les handicaps naturels, ils sont normaux et il ne faut pas chercher à les nier en essayant de cloner les gents intelligents! Il existe et il existera toujours des différences.
D’ailleurs, quand Plantagenêt disait que “l’égalité n’implique pas le nivellement des valeurs”, il sentait bien ce qu’il y avait d’absurde dans cette notion trop absolue d’«égalité».
Ces inégalités sont de sources diverses; l’intelligence de l’individu, son hérédité, ses conditions familiales, son aptitude à la scolarisation, sa citoyenneté, la localisation géographique de son habitat et, principalement, ses revenus!
Les inégalités sociales sont dramatiques, l’écart entre les revenus les plus élevés et les plus modestes se creuse chaque jour plus, et les inégalités deviennent de moins en moins supportables car le fatalisme n’est plus de mise, les écarts sociaux sont consciemment perçus.
Sans compter que d’autres inégalités se sont sans doute aussi aggravées, ce sont les inégalités entre peuples. Jusqu’à présent, on a largement raisonné en termes d’égalité au sein d’une nation, c’est oublier les inégalités entre les pays riches et les pays pauvres, en Europe et dans le Monde, et celles là sont gigantesques.
Il suffit de se pencher sur le phénomène européen qui prône la liberté de circulation à l’intérieur de ses frontières mais qui interdit, en même temps, son accès aux gens du Sud. Ce n’est ni l’égalité des droits, ni l’égalité des conditions.
C’est également oublier le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui rappelle que les peuples ont proclamé leur foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité des valeurs de la personne humaine, dans l’égalité des droits des hommes et des femmes, et qu’ils se sont déclarés résolus à favoriser le progrès social et à instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande.
Cette vision, lorsqu’elle est appliquée, a normalement un caractère fonda- mentalement nationaliste, même si notre Europe joue un rôle positif par sa redistribution et ses fonds de péréquation. Dans ce cas précis, l’Europe est l’image d’une nation globale, limitée à l’espace géographique de ses états membres.
Des étudiants portugais écrivaient dans une thèse sur la Révolution Française:
“Au long des 200 dernières années, l’égalité, par le biais du développement social, n’a fait que augmenter les inégalités, et la fraternité a été abandonnée en un monde qui a placé l’affirmation des Etats Nationaux au dessus de la solidarité entre les peuples.”
L’égalité est-elle la base de toute liberté? Qu’est-ce que l’on entend par «liberté»?
Ce qui consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui? L’exercice des droits naturels de chaque homme qui n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits?
L’égalité des conditions est une utopie; elle n’est ni possible, ni d’ailleurs souhaitable car, paradoxalement, négatrice de la liberté.
Ce qui pourrait être même dangereux, c’est l’accent mis sur la liberté; la liberté absolue tue l’égalité de même que l’égalité absolue tue la liberté. Personne n’a encore trouvé le bon point d’équilibre sans que l’un détruise l’autre.
Les bornes de cette liberté ne peuvent être déterminées que par la loi. Et la loi, par définition, est égale pour tous.
Donc, une certaine égalité est la base d’une certaine liberté. Il n’existe pas d’absolu.
Ce qui est souhaitable, comme le réfère la “Déclaration universelle des droits de l’homme”, c’est que ce concept soit humanisé par un sentiment qui parait indissociable de son contenu: la fraternité.
Et afin qu’elle prenne tout son sens et qu’elle soit réellement applicable, et appliquée, la devise Maçonnique, “Liberté, Egalité, Fraternité”, devra être toujours associée à la solidarité, à la tolérance et à l’universalité.
Mais même en Maçonnerie l’égalité n’est pas la base de la liberté. Du moins, l’égalité n’est pas toujours synonyme de liberté.
Dans un Ordre qui prône la Tolérance, il existe des règles auxquelles les Maçons doivent se soumettre. Ce sont les Landmarks (ou Règles, ou Statuts, ou Limites) qui dictent quelle doit être l’attitude du Frère dans la Maçonnerie, et par extension, dans le monde profane.
Même si, comme le dit Jean Boucher, “En Maçonnerie, contrairement à ce qui a lieu dans la plupart des autres groupements humains, chaque Frère garde une liberté entière; il ne peut ni ne doit recevoir aucun mot d’ordre susceptible d’influencer ses actes”, le Maçon devra respecter néanmoins les règles édictées par les règlements de sa Loge et de sa Grande Loge. Il ne pourra évoquer “au dehors” ce à quoi il a participé “à l’intérieur”, sa conscience étant liée, dans ce cas, au jurement qu’il fait lors de la fermeture des travaux de sa Loge de Saint-Jean.
L’Initié, lorsqu’il est fait Maçon, cet homme «libre et de bonne renommée» s’entendra appeler “Frère” par ses nouveau correligionaires. Il pourrait imaginer que, de ce fait, il sera leur égal et qu’il jouira des mêmes libertés qu’eux. Il n’en est rien. Il lui faudra attendre d’être Maître pour pouvoir user de la parole en Loge, à l’instar de tous les Apprentis et Compagnons.
Pour conclure, rappelons que l’égalité absolue entre les hommes existe, une fois et une seule, au long de leurs existences. Le jour où le Grand Architecte de l’Univers nous appellera auprès de lui, à l’Orient Eternel, le jour où, effectivement, nous ne serons plus libre de notre choix. C’est l’heure du Jugement Final où l’homme n’est plus maître de son destin
Ce jour-là, cette égalité totale finalement obtenue sera synonyme d’absence totale de liberté, quelle qu’elle soit.
Jean-Pierre GRASSI