Crónicas da Polónia
Secret, discret ou ... paranoïaque? (ou la Franc-maçonnerie en Pologne)
Pour moi, il existe principalement 4 situations distinctes :
- Les pays de tradition maçonniques, où l’on pratique les Rites mais sans ostentation particulière (France, Portugal, Suisse, Brésil, ...) ;
- Les pays anglo-saxons où la maçonnerie fait partie de la vie quotidienne (Grande Bretagne, USA, Australie, Nouvelle Zélande ...) ;
- Les pays gouvernés par des régimes totalitaires (ou autoritaires), avec qui la Franc-maçonnerie n’a jamais fait bon ménage (Chine, Russie, Egypte, Iran, ...) ;
- Enfin, les pays dominés par une religion d’Etat, et peu importe laquelle.
Parfois, deux situations cohabitent dans le même pays comme, par exemple, au Canada où, à l’entrée de la plupart des municipalités, un grand panneau affiche les logos de tous les organismes caritatifs de la ville et où l’on y voit, entre Lions et Rotary, l’Equerre et le Compas des Shriners. Vous me direz, aux Etats-Unis également mais, où j’en veux en venir avec le Canada, c’est qu’il y a une exception : le Québec. En effet, l’influence du clergé catholique est encore primordiale dans cette province et il serait préjudiciable de s’y faire reconnaître comme Maçon, au contraire du Canada anglo-saxon.
Pourquoi donc le clergé ? Revenons donc aux religions en général et à la mienne, le catholicisme, en particulier.
Même si notre Volume de la Loi sacrée est celui des grandes religions monothéistes, même si nous prêtons serment sur l’évangile de Jean, même si grand nombre d’ecclésiastiques ont appartenu, et appartiennent encore aujourd’hui, à la Franc-maçonnerie régulière, nous ne sommes pas en odeur de sainteté au Vatican.
Le grand reproche de l’Eglise catholique est qu’elle considère que la Maçonnerie propage le relativisme en matière religieuse, héritage du Siècle des Lumières, c'est-à-dire l'idée selon laquelle aucune religion ne serait supérieure à toutes les autres. D’où l’anathème lancé par Pie VII, en 1821, sur les Francs-maçons.
Je prends l’exemple de la Pologne, où je réside depuis plusieurs années. L’église catholique, sans être officiellement religion d’état ... l’est quasiment. Ne croyez pas que Karol Wojtyla est devenu Jean-Paul II para hasard. Ça a été la reconnaissance, par le conclave des Cardinaux, d’une église puissante qui, depuis des décennies, est présente dans les structures politiques et l’espace publique de l’état polonais à tel point que les associations laïques comparent la situation actuelle à la période de domination stalinienne.
Et c’est la présence permanente de l’église catholique dans tous les compartiments de la société qui fait que la maçonnerie est ce qu’elle est au pays de Frédéric Chopin.
La première loge a été créée en Pologne en 1730 (à une époque où la carrière des armes n’avait pas un caractère strictement national mais faisait que les soldats se mettaient au service de princes étrangers) sous la forme d'une association de gentilshommes et d'officiers polonais et pas seulement polonais.
Il convient de noter que, dès ses origines, la maçonnerie polonaise fut très ouverte, accueillit en son sein une majorité de maçons étrangers, intellectuels, notables ou militaires, et les travaux en Loge furent immédiatement organisés en langue française (ça, c’est pour mon ego)
En 1769, Varsovie devint la cinquième obédience indépendante après Paris (1728), Berlin (1744), la Haye (1756) et Stockholm (1760).
De cette époque à nos jours, les activités maçonniques en Pologne ont été secouées par les soubresauts dus aux multiples agressions qu’a dû subir l’intégrité de son territoire :
- Fin du XVIIIe siècle, la Pologne est rayée de la carte et totalement partagée par la Russie, l'Autriche et la Prusse. Seule la Prusse, qui occupe la région de Varsovie, tolère la maçonnerie. L'Autriche et la Russie prononcent son interdiction. ;
- Début du XIXe siècle, le Tsar Nicolas 1er, hostile à la Franc-maçonnerie, occupe militairement la Pologne ;
- Tout au long du XIXe siècle, la Pologne vit écartelée, une fois encore partagée entre la Russie, la Prusse (puis l'Allemagne) et l'Autriche. Durant cette période vont se radicaliser les milieux catholiques contre les Maçons à la suite de la publication de la Bulle papale Ecclesiam Jesus Christi, condamnant la maçonnerie ;
- À la fin de la première guerre mondiale, la Pologne recouvre sa souveraineté et, au bout de quelques années, 18 Loges regroupent environ quatre cents maçons actifs;
- Après le coup de force de 1930 contre les députés de l'opposition, un projet de Loi très répressif contre les francs-maçons est déposé. L'intention du pouvoir d'interdire la maçonnerie en Pologne culminera le 22 novembre 1938 : le décret d'interdiction est publié, les maçons poursuivis et interdits d'exercer dans la fonction publique ;
- L'invasion allemande du 1er septembre 1939 déclenche la Seconde Guerre mondiale. La Pologne est à nouveau partagée entre l'Allemagne nazie et son alliée de circonstance, l'Union Soviétique ;
- Après 1945, Le décret portant interdiction de la Franc-maçonnerie en Pologne, promulgué en 1938, n'a bien évidemment pas été abrogé lors de l'accession des communistes au pouvoir en Pologne et la Maçonnerie a été totalement mise en sommeil jusqu’en 1989 et la chute du mur de Berlin.
Lorsque je suis arrivé pour la première fois en Pologne, en 1997, j’ai pris contact avec la Maçonnerie locale et intégré la Loge La France. Si mes informations sont bonnes, environ 200 frères travaillaient à cette époque au sein de la Grande Loge Nationale de Pologne.
Remarquez qu’en 1924, le nombre de maçons était évalué à 400, donc la moitié moins, 75 ans plus tard.
Aujourd’hui, en avril 2009, et si mes informations sont toujours exactes, nous ne serions qu’un peu moins de 130 à appartenir à la GLNP, ce qui est vraiment peu pour un pays qui compte presque 40 millions d’habitants et, surtout, qui a une histoire maçonnique vieille de presque 3 siècles.
Pourquoi cette défection ? A cela, plusieurs raisons.
- Historiquement située au carrefour de plusieurs mondes, et dépourvue de frontières naturelles, la Pologne a toujours été extrêmement exposée aux invasions. Il suffit de constater ce qu’il s’est passé depuis la naissance de la maçonnerie, par exemple, pour s’apercevoir que la Pologne, entre 1772 et nos jours, n’a été réellement un pays souverain qu’une soixantaine d’années. Les réflexes d’auto-défense vis-à-vis d’un pouvoir, légitime ou non, sont toujours bien ancrés dans la mentalité polonaise ;
De plus, il existe une spécificité polonaise depuis le milieu du XVIIe siècle, lorsque la Pologne et la Lituanie formaient la République des Deux Nations, qui est le « Liberum Veto », j’interdis librement en latin. C’était un outil parlementaire qui autorisait n'importe quel député de la Diète polonaise à forcer un arrêt immédiat de la session en cours et annuler toutes décisions qui avaient été prises.
Si ce droit de veto a disparu avec l’annexion de la Pologne par la Russie, cette possibilité qu’auraient les Polonais de dire non est restée dans les mœurs. Plutôt qu’écouter fraternellement l’autre dans un esprit de dialogue, plutôt que de chercher à nourrir sa réflexion par la réflexion de l’autre, ou bien d’accepter avec une certaine humilité la complémentarité parfois de la réflexion de l’autre ou encore le bien fait de la remise en question d’une réflexion contraire, on dit : non ! Ce qui est la négation de la tolérance.
- Socialement, il faut savoir qu’un mot comme « bénévolat » n’existe pas dans la langue polonaise, on emploiera le mot «volontarius », dans le sens large « désigné volontaire d’office ». Le Polonais n’aime pas s’exposer. Il fuit les réunions, les rassemblements, les banquets, même les pique-niques ne trouvent pas grâce à leurs yeux. Alors, les assemblées de Maçons ... Même les agapes sont systématiquement ignorées, alors que l’ont sait l’importance fondamentale de recréer notre chaîne d’union à l’extérieur du Temple.
Une anecdote : une des premières planches tracée, après le réveil de la Maçonnerie en Pologne, avait comme sujet : si nos Frères Anglo-saxons ont le tablier noué sous leur veste, pourquoi pas nous ? Une manière comme une autre de dissimuler un peu plus l’appartenance à l’Ordre, même en Tenue de Loge ?
- Religieusement, l’Eglise Catholique a la main mise sur le pays. Et c’est une église radicale, pour ne pas dire fondamentaliste, dans la ligne pure et dure du Vatican. Pas la moindre concession, pas la moindre ouverture sur les sujets sensibles qui font débat. Et, en plus, complètement noyautée par l’Opus Dei. Pour ceux qui ne le savent pas, en 1982, c’est Jean-Paul II qui donne à l’Opus Dei son statut juridique définitif en l’érigeant en prélature personnelle. Cet état de fait renforce, bien entendu, un sentiment antimaçonnique déjà présent dans les sphères du pouvoir et, par voie de conséquence, un sentiment d’insécurité chez nos frères.
Paranoïa ou non ?
Un exemple parmi tant d’autres, lors de la campagne présidentielle en 2005, la station intégriste catholique et antisémite Radio Maryja - qui supportait le candidat Lech Kaczynski (qui fut élu) - avait traité un concurrent de "franc-maçon" (sic)
Et pourquoi cette référence à la Franc-maçonnerie ? Tout simplement parce que la radicalisation de l’Eglise catholique en Pologne a permis l’éclosion de partis d’extrème-droite comme le parti « neo-pilsudkiste » national KPN ou le parti national-chrétien fondamentaliste, qui s’est mué en Ligue des Familles Polonaises à la fin des années 90, et qui n’a jamais caché son soutien aux groupuscules, ligues et autres « Jeunesses Pan-polonaises » dans leurs bruyantes manifestations contre les « pédés, les communistes et les féministes ».
Et quoi de plus naturel que de reprendre à leur compte la fumeuse théorie du « complot judéo-maçonnique » cher au National Socialisme allemand et au régime de Vichy.
Inquiétant, non ?
Ce que je vais écrire maintenant est pure vérité. Un de nos Frères, étranger travaillant dans une entreprise étrangère à Varsovie, n’a jamais communiqué le numéro de son portable, ni son adresse électronique. Pourquoi ?
Parce qu’il sait, et pour cause, que des logiciels performants ont été développés en Pologne, capables d’identifier des mots clefs comme maçon, loge, tenues, mais aussi communisme, avortement, homosexuel, etc, et qui permettent l’enregistrement automatique de conversations téléphoniques et/ou le copiage de courriels. Sans parler des « hackers » bien intentionnés, toujours prêts à s’immiscer dans des disques durs qui ne leurs appartiennent pas.
Qui a parlé de « chasse aux sorcières » ? Un rappel, nous sommes au XXIe siècle et la Pologne est membre de l’Union Européenne.
C’est pour tout cela que je suis persuadé que la Maçonnerie en Pologne restera ce qu’elle est aujourd’hui, marginale.
Bien sûr, il y aura toujours une poignée d’intellectuels, soutenus dans leurs efforts par la très grande diaspora polonaise que l'on retrouve principalement en France, aux États-Unis et en Grande Bretagne, qui auront à cœur de perpétrer les traditions de l’Art Royal, mais ce groupuscule de Frères aura les plus grandes difficultés a fédérer suffisamment de membres afin de donner au pays la Grande Loge que la Pologne pourrait mériter.
Tout est une question de mentalités.
Je tiens à préciser que ce texte ne reflète que ma propre vision de la Maçonnerie en Pologne et n’engage, bien entendu, que moi.